17. Noël au centre d’instruction d’Eu

Lettre n°10:   Bien chers Parents, frères, Maman Facq, Tante, Chrétien, petit Jean,   Malgré ma promesse de vous écrire deux ou trois jours après ma lettre du 1er Déc., il m’a été impossible de le faire, c’est à dire que je n’ai pas osé vous écrire tant les nouvelles venant de la Hollande nous […]



Lettre n°10:

 

Bien chers Parents, frères, Maman Facq, Tante, Chrétien, petit Jean,

 

Malgré ma promesse de vous écrire deux ou trois jours après ma lettre du 1er Déc., il m’a été impossible de le faire, c’est à dire que je n’ai pas osé vous écrire tant les nouvelles venant de la Hollande nous engageaient à la prudence. Cependant je ne puis résister plus longtemps. Ah ! Si vous saviez comme je suis inquiet, votre dernière lettre reçue en Nov. datait du 8 Octobre. Pourvu que vous receviez les miennes. J’ai également suspendu l’envoi de cartes postales Hollandaises car on m’avait dit que la censure Hollandaise faisait connaître à la censure Allemande (au moyen d’un signe quelconque apposé sur les cartes) les cartes provenant de la France ou de l’Angleterre, on est même allé jusqu’à me citer des cas où les destinataires de ces cartes avaient été inquiétés. Avez-vous reçu mes cartes, les Allemands vous ont-ils laissé tranquille ?

Tout cela est mystère pour moi ! Aussi vous pouvez juger de l’inquiétude toujours croissante que j’éprouve à mesure que se passent les jours et que le facteur ne m’apporte rien émanant de vous ! J’avais cependant conservé l’espoir de recevoir une petite lettre vers la Noël ou le nouvel an, mais nous voici le 29 déjà et toujours rien ! La fête de Noël s’est très bien passée, et plus encore qu’aux autres jours, ma pensée était avec vous. J’ai assisté à la messe militaire à 7h00 et certainement j’ai communié quasi en même temps que vous. Comme je me sentais près de vous à ce moment ! L’après midi sortie à 1h00. Comme toujours j’ai passé l’après midi avec mes aimables amis Vanhoebrock et Snoeck plus un ami de Mr. Joseph V.H. que j’ai connu à la Haye. Naturellement la conversation roulait sur Bruxelles Et la façon dont chacun de nous passer la fête de Noël. Ah ! Comme cela faisait du bien de se remémorer tous ces doux souvenirs. Pour remplacer le Rougnou habituel de Noël qui nous faisait sourire au réveil lorsque nous étions à la maison, l’autorité militaire distribue des cadeaux de Noël et de nouvel an. Je ne sais pas encore en quoi ils consistent. Il paraît que le Kronprinz* posa à ce sujet la question suivante au Kaiser: “L’année dernière j’ai distribué des pipes à mes soldats pour la fête de Noël mais que donnerais-je cette année ? Ah ! répondit Guillaume, distribuons cette année des blagues (de l’agence) Wolff ** ! “

Mais passons à des choses plus sérieuses, Lucien et Frédéric sont au front depuis le 6 de ce mois. Ils sont mitrailleurs (poste excellent), Lucien est caporal. J’ai déjà reçu une longue lettre donnant de nombreux détails sur la vie qu’il mène là-bas. Il s’y plait beaucoup et est enchanté d’avoir quitté les centres d’Instructions. Ils sont excessivement bien nourris, ils sont dans un très bon secteur hors de portée des fusils boches. Si vous y voyez un inconvénient ne le dites pas à ses parents. Ils cantonnent à trois quarts d’heure du cantonnement d’Henry.

Mitrailleuse belge

Mitrailleuse belge

Louis est également au front depuis le 8 Décembre, canonnier à l’artillerie lourde (pièce de 150 mm). Lui aussi est très content d’être là, les marmites*** des boches ne sont pas à craindre. Quant à moi mon instruction se poursuit toujours, beaucoup de mes camarades de la batterie ont été versé dans une batterie active, probablement que je serai désigné comme canonnier ce que je désire ardemment. Je voudrais que Georges ou Léon aillent informer Mme. Coryn rue du Prince Albert 21, que son fils Charles est au front depuis le 8 Décembre, à l’artillerie lourde, pièce de 150 mm, il se porte toujours très bien. André Meert est toujours en excellente santé, hier j’ai encore reçu une longue lettre, bien des amitiés de sa part à sa famille.

Georges et Lucien, est-ce que maman fait encore des 4 quarts et des gâteaux de Savoie ? Oui sans doute sinon il faudra demander le rapport ! Ah ! oui je suis militaire de fond en comble maintenant, j’oublie entièrement la vie civile, quel contraste pour moi lorsque je redeviendrai “Pékin” ! Ce sera tout comme un villageois qui voit une grande ville pour la première fois de sa vie !

 

(30 Déc suite) Ce matin le colis de tabac mais enfin arrivé ! Il y avait près de deux mois qu’il était en route ! ce sont mes étrennes ! Quelle différence avec le tabac français ! Encore une fois, Chers Parents, laissez-moi vous répéter les vœux que je vous exprimais déjà dans ma lettre du 1 Déc.

Bonne et sainte année à tous ! Puisse-t-elle vous apporter le bonheur et la paix mais une paix telle que nous le voulons et non pas comme nos ennemis le voudraient. Il faut que la Belgique redevienne Belge ! Nous soldats, nous le voulons, et nous lutterons jusqu’au jour où nos abominables ennemis seront écrasés ! Nos peines et nos souffrances n’auront pas raison de notre courage et de notre ténacité ! Le jour de la Victoire n’est peut-être pas aussi loin que vous le pensez ! Bon Courage ! Que Dieu vous protège ainsi que notre glorieuse armée ! Je termine en vous embrassant tous bien fort. Bien mes amitiés et souhaits à Mr et Mme Henri, toutes les connaissances sans oublier Albert Libotte.

Votre fils qui vous aime.

Jean Vanden Dael

 

2e batterie C.I.A. à Eu, Seine Inférieur, le 29 et 30 décembre 1915.