Lettre n°8:
Parents, FrÚres, famille bien aimés et cher Chrétien.
Jâai bien reçu votre lettre du 6 et 7 septembre qui me sont arrivĂ©es avec beaucoup de retard puisque je les ai reçues vers la mi-octobre, mais quâimporte, cela fait toujours bien plaisir de recevoir des nouvelles de sa famille. Il me semble quâelles apportent un peu de cet air de notre doux foyer. Je suis toujours heureux dâapprendre que vos santĂ©s sont excellentes et que les affaires marchent toujours normalement. Lucien mâa communiquĂ© la lettre dans laquelle Alice lui dit que vous avez bien reçu notre photographie. Nâest-ce pas que je parais «bleu» !!
Mais avant de continuer, il faut que je vous apprenne que je ne suis plus « Piote »*. Je suis en effet Artilleur. Je sais bien sĂ»r que vous aurez bien compris mes cartes postales Ă ce propos et, quâen apprenant cette grande nouvelle, les moustaches de Papa et de ChrĂ©tien seront crollĂ©es ! Jâen suis extrĂȘmement heureux car lâartillerie est, Ă lâheure actuelle, le rĂȘve de tout soldat ! Quelle vie Ă cĂŽtĂ© de celle du fantassin ! Fini toutes ces marches de 30 km, sac au dos, flingo, pelle etc. Ah ! oui. Jâai eu beaucoup de chance. Figurez-vous quâun beau jour, lâordre arrive que deux hommes de ma compagnie devaient passer Ă lâArtillerie. Me voilĂ donc inscrit et dĂ©signĂ© pour partir lorsque, quelques heures avant mon dĂ©part, je suis remplacĂ© par mon meilleur ami, Snoeck ( celui dont je vous ai envoyĂ© une photo) parce quâil Ă©tait plus ancien que moi. PremiĂšre occasion ratĂ©e. Jâen Ă©tais restĂ© tout ahuri est dĂ©solĂ© lorsque, le lendemain, nouvel ordre, cette fois il en fallait 8. Enfin, aprĂšs bien des inquiĂ©tudes, je suis du nombre des partants. Vite nous sommes Ă©quipĂ©s comme pour partir au front (avec la nouvelle tenue dâĂ©tĂ©) et expĂ©diĂ©s au centre dâinstruction de lâArtillerie Ă©tabli Ă Eu (Seine InfĂ©rieure).
ArrivĂ© ici, il mâa fallut remettre mon bel Ă©quipement de fantassin et endosser le costume des Centres dâInstruction, câest-Ă -dire les anciens Ă©quipements, ainsi jâai une culotte de lancier, une veste de chasseur et un manteau dâArtilleur. Quand je partirai au front, jâaurai la nouvelle tenue qui est Ă©patante ! AndrĂ© Meert mâavait souvent recommandĂ© de passer Ă lâartillerie si jâen avais lâoccasion, vous voyez que je lâai attrapĂ©e au vol ! Et cela me plaĂźt beaucoup.
Voici comment est divisĂ©e notre journĂ©e. RĂ©veil Ă 5h30. Ă 6h00 appel. De 6 Ă 7 Pansage. Ă 7h00 premier repas. 8h00 appel pour lâexercice qui dure jusquâĂ 11h00. 12h00 deuxiĂšme repas. 2h00 appel pour lâexercice. De 5 Ă 6 Pansage. De 6 Ă 9, on est libre.
Le lendemain de mon arrivĂ©e, jâĂ©tais dĂ©jĂ Ă cheval, les cinq premiers jours nous cavalions sur une petite plaine servant de manĂšge oĂč du pas on passait au trot puis, tout en Ă©tant au trot, il fallait se mettre Ă lâamazone, lĂącher les rĂȘnes, ou tout autre exercice semblable, sauter et monter dessus tant que le cheval est au trot. Mais Ă partir du 6e jour, nous commencions les sorties Ă cheval et câest ainsi que, chaque matin, nous faisons une longue promenade de 3 heures. JusquâĂ prĂ©sent, je nâai pas encore fait de chute ni Ă©tĂ© blessĂ©. LâaprĂšs-midi, thĂ©orie et exercice avec les piĂšces. Dans quelques jours, nous aurons des Ă©triers, cela va trĂšs vite !
Maintenant pour le logement, ma batterie cantonne dans une briqueterie Ă un quart dâheure de la ville; je ne saurais mieux remettre lâendroit quâĂ la partie qui se trouve derriĂšre la plaine des manĆuvres dâEtterbeek avec la seule diffĂ©rence que Eu se trouverait Ă la place dâAuderghem. Nous sommes donc complĂštement isolĂ©s. Ne craignez rien. Je suis bien installĂ© trĂšs confortablement. Dans ma prochaine lettre jâen vous ferai une description car jâai encore beaucoup dâautres choses Ă vous dire. [âŠ]
* Insulte de cavalier proférée à un fantassin.
Centre dâinstruction Ă Eu (Seine InfĂ©rieur), le 7 novembre 1915.
