18. Enfin je vois le front !

EXTRAITS DE MON JOURNAL (24, 25 mars et 7 avril 1916)



Vendredi 24 mars:

Aujourd’hui comme d’ordinaire, je remplissais mes fonctions de dĂ©lĂ©guĂ© lorsque vers 4h30 de l’aprĂšs midi en revenant de « Kruisaleele », Koeken me crie qu’il part aux piĂšces ! Lorsqu’en rentrant dans la cour de la ferme le 1er chef me dit de prĂ©parer mon baluchon, je dois partir Ă©galement pour la batterie, quelle surprise ! J’en ressenti en moi-mĂȘme un petit choc, d’ailleurs vite disparu aprĂšs avoir rĂ©pondu: « Bon 1er chef ! ». Je cours avertir le tĂ©lĂ©phoniste et en cinq secondes, je rassemble mes « biens ». Je suis heureux d’aller Ă  la batterie, lĂ  au moins, je « verrai quelque chose ». Voici la fourragĂšre et en route pour la batterie !

Il fait nuit Ă  l’horizon, s’élĂšvent Ă  chaque instant des fusĂ©es Ă©clairantes. BientĂŽt, nous dĂ©passons des positions de replis, nous voici arrivĂ©s Ă  une ferme que plusieurs obus ont quelque peu dĂ©tĂ©riorĂ©e. C’est notre Ă©tat-major. Le cuisinier y dĂ©charge des vivres. Un peu plus loin, nouvel arrĂȘt, nous dĂ©chargeons des plants de houblon destinĂ©s Ă  la 63e. Des colonnes de fantassins se rendant aux tranchĂ©es nous dĂ©passent. Enfin nous arrivons Ă  Oostkerke dont il ne reste que des ruines. Nous prenons un chemin Ă  droite, ici il faut se cramponner au chariot pour ne pas ĂȘtre lancĂ© par dessus bord: des obus ont abimĂ©s la route. Nous voici Ă  la position que l’on distingue chaque fois qu’une fusĂ©e est lancĂ©e des tranchĂ©es. Partout des trous d’obus. Nous arrivons enfin Ă  une rangĂ©e d’abris, l’adjudant nous fait caser dans l’un de ceux-ci, nous prenons la place des quatre hommes qui sont aux piĂšces avancĂ©es. On y est trĂšs bien, l’abri est vaste, huit hommes y couchent. Au milieu, une table. Du cĂŽtĂ© postĂ©rieur de l’abri, il y a deux fenĂȘtres dont l’une donne en face de la table. Entre les deux, un poĂȘle en maçonnerie.

Zone de piquet en 2e ligne Ă  Oostkerke (1916)

Zone de piquet en 2e ligne Ă  Oostkerke (1916)

Samedi 25 mars:

« Hakewip ! » Quel souvenir lointain dĂ©jà
 « hein ChrĂ©tien ?! ». Quelle excellente nuit de passĂ©e ! Quelle bonne couchette ! Toute la nuit d’un seul somme. Aujourd’hui nous dĂ©blayons.

7 avril:

Anniversaire de mon dĂ©part de Bruxelles ! DĂ©jĂ  une annĂ©e d’écoulĂ©e !
Durant la matinĂ©e, continuation de la construction de l’abri. À midi et demi, comme nous terminons notre repas, une explosion se fait soudain entendre. Par la lucarne, on peut voir Ă  dix mĂštres en arriĂšre de l’abri, un trou bĂ©ant et tout autour, des terres et Ă©clats qui retombent. Carion qui se trouvait dehors Ă  cet instant, se laisse tomber Ă  plat ventre lorsqu’il avait entendu le sifflement du projectile. « Vlan ! ». VoilĂ  la rĂ©ponse Ă  notre canonnade d’hier ! Les 15 nous arrivent avec plus de rapiditĂ©. Ordre est donnĂ© d’aller dans l’abri de bombardement. Peu aprĂšs, les Boches se mettent Ă  nous canarder avec trois piĂšces, ça tombe dru. Nous sommes vivement secouĂ©s ! Deux obus dans l’abri de la 2e piĂšce, tout est bouleversĂ© autour de la position. Comme victime: un pauvre petit moineau tuĂ© d’un petit Ă©clat Ă  l’Ɠil gauche. Le bombardement terminĂ©, les chercheurs de fusĂ©es se mettent au travail. Bilan 107 obus. Vite on se met Ă  l’oeuvre, tout est rĂ©parĂ© et nul ne pourrait deviner ce qui est arrivĂ©. Tout le temps de notre sĂ©jour dans l’abri de bombardement, nous avons chantĂ© et rigolĂ© comme des fous, on ne s’en fait pas !