20 janvier 1917 (2h de la nuit):
Mes bien chers Parents, frères, grand Mère, Tante, Chrétien et petit Jean.
Je vous ai encore écrit hier soir mais n’ayant pu vous répondre entièrement à votre tendre lettre du 27/11/16 faute de place, je veux profiter des 4 heures de faction que je viens d’entamer pour écrire à nouveau car j’estime que je ne vous écrirai jamais assez et si hélas chers Parents, vous êtes restés longtemps sans recevoir de mes nouvelles, croyez-moi, que ce n’est point de ma faute car je ne cesse de vous écrire régulièrement. Je répèterai brièvement le contenu des 2 précédentes lettres dont celle-ci est la suite. A la 1ère est jointe une photo en artilleur, c’est la douzième que je vous envoi ! La 1ère semaine de Septembre je vous en ai adressées 7 dans 7 différentes lettres et presque toutes par différents tuyaux ; j’espère qu’au moins l’une d’elles vous parviendra. A la seconde est jointe une photo identique à celle que je vous ai adressé en même temps que la présente lettre.
Je vous ai également dit comment après 16 mois de service constant j’ai été passé 4 jours de congé en Octobre dernier auprès du cousin Jacques qui m’y avait invité et qui a été pour moi plein de délicates intentions à mon égard. En passant par Paris, j’ai été rendre une visite de quelques heures à Mr et Mme L. [illisible] qui m’ont témoigné beaucoup de sympathies. Je vous ai aussi raconté ma rencontre avec notre François et j’en ai saisi l’occasion pour nous faire photographier ! Comment nous trouve-vous ?
J’en arrive maintenant à la nouvelle concernant Mr et Mme Henri. Ah ! Chers Parents en lisant ces lignes. J’en ai sauté de joie ! A tel point que les autres servants de ma pièce qui se trouvaient autour de moi, se sont demandés ahuris ce que « j’attrapais » ! Quel bonheur serait ce pour moi si cela pouvait réussir !!! Du coup je me sentirais moins seul, moins abandonnés à moi-même et de cette façon j’aurais quelqu’un à qui je pourrais soulager mon cœur, en communiquant toutes mes impressions, mes joies et surtout les jeunes et les souffrances que le soldat rencontre nécessairement tous les jours. Tandis que maintenant, il faut que je garde tout pour moi. A la longue de vivre ainsi éloigné de tout le monde, on s’abruti, le cœur devient presque insensible, il devient dur comme le roc. A quel bonheur serait-ce ! Chaque jour j’attends le facteur avec impatience espérant recevoir un mot m’annonçant cette heureuse nouvelle. Et s’il n’en était pas ainsi chers Parents ne vous faites pas de chagrin car ayant pu supporter toutes les difficultés jusqu’ici vaillamment, je continuerai à les supporter de la sorte jusqu’au bout. Du courage il ne m’en manque pas j’en ai pour 2 et même pour 3. La divine Providence me protège et veille sur moi.
Ne vous chagrinez pas pour moi chers Parents, ne me plaignez point je suis jeune et virile et quoique étant continuellement au danger, ma situation n’est-elle pas bien meilleur que la vôtre ; vous souffrez de la et du manque de vivres, vous souffrez de l’odieuse occupation sans compter que vous êtes à la merci de nos ennemis sans même pouvoir vous défendre ! Non ne vous attristez pas outre mesure sur mon sort, je suis fort et je résisterai et puis un peu de patience encore, et le jour du retour triomphal est tout proche. Bientôt il nous sera donné de nous revoir la mine souriante et la conscience en paix car chacun de nous aura fait son devoir ! Je me porte à merveille comme j’espère qu’il en est de même pour vous tous. Je vous quitte en vous embrassant tous bien fort de loin. Les amitiés à toute la famille, les connaissances et ami.
Votre Jean.