- Baraquements au camp d’Auvours 1914-18
Bien chers Amis,
CommencĂ©e le 1er juillet, je trouve enfin le temps dâachever ma lettre aujourdâhui, non pas au camp mĂȘme, mais Ă la ville de Le Mans qui se trouve Ă 30 minutes de chemin de fer du camp. Eh oui, jâai obtenu une permission ! En voici lâhistoire.
Un de mes camarades avec qui jâai fait une grande partie du voyage, a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©, la semaine derniĂšre, Ă lâhĂŽpital de la ville de Le Mans. Il avait un ongle du pied incarnĂ©; il a fallu lui faire lâopĂ©ration. Quelques jours aprĂšs son dĂ©part, il mâa chargĂ©, par lettre, de prendre soin de ses objets et bagages et me demandait de lui parler le jour oĂč jâaurais lâoccasion dâaller au Mans. AussitĂŽt le jeudi 1er juillet, je fais ma demande de sortie au 1er sergent major. Mais voilĂ que vendredi aprĂšs-midi, durant lâexercice, notre commandant Delmotte nous annonce que le colonel Ă refusĂ© toutes les permissions. Je me le tenais donc pour dit lorsque, samedi soir, tout en parlant au premier chef: « Si tu ne lâobtiens pas, dit-il, ce nâest rien, tu viendras avec moi dans le courant de la semaine prochaine ». Vous comprenez comme je jubilais. Mais, cinq minutes aprĂšs, le sergent de semaine me prĂ©sente le billet de permission, jâen Ă©tais tout Ă©bahi ! Et voilĂ comment je me trouve aujourdâhui au Mans.
Mais parlons un peu dâautres choses. Ah ! Le service. Chers amis, cela marche comme sur des roulettes. Ă plusieurs reprises, jâai dĂ©jĂ Â pu me rendre compte que jâĂ©tais trĂšs estimĂ© de la part de mes chefs et de plus, depuis lundi dernier, je joue le rĂŽle dâordonnance du 1er sergent major. Travail: cirer une paire de bottine et lui porter un seau dâeau par jour. Câest tout, pas de lavage ni nettoyage et cela mâexempte de lourdes corvĂ©es. Je vous assure que nous nous entendons trĂšs bien (il mâappelle son fils). Il a Ă©tĂ©, je crois que câest, 8 ans au Congo (Bas Congo). Je ne sais pas le grade quâil avait lĂ -bas. Câest le vrai type du vieux soudard. Il se plaĂźt Ă raconter sa vie militaire quelque chose comme celle de Victor et ChrĂ©tien. ChrĂ©tien le connait peut-ĂȘtre, il sâappelle Groeters. Vous pourriez demander Ă Mr Alphonse sâil ne le connaĂźt pas, par hasard, et, Ă lâoccasion, je pourrais faire des compliments.
Notre chambrĂ©e est bien partagĂ©e, la plupart des jeunes gens de bonnes familles, trĂšs sĂ©rieux. En cours de route, jâai rencontrĂ© le garçon droguiste de la chaussĂ©e dâIxelles, il couche dans ma chambre. Je voudrais que vous voyiez notre nourriture, notre couchage, enfin la vie que nous menons ici, câest incroyable, notez bien que je nâenjolive pas. Nous sommes ici si nombreux et, de chacun de nous, câest le mĂȘme mot qui sort de la bouche : « Je ne mâattendais pas Ă cela ». Je voudrais que vous puissiez le voir !
Quant Ă la tempĂ©rature, il fait terriblement chaud ici. Lâendroit oĂč notre camp est construit, je ne pourrais mieux le comparer quâaux environs de Waesmunster, du sable, des bruyĂšres et des bois de sapins. Nous avons dĂ©jĂ tous le teint bronzĂ© comme celui quâavaient les soudards de NapolĂ©on aux pieds des pyramides. Ă propos de Waesmunster, lâun des mĂ©decins de notre camp est de Weasmunster. Il paraĂźt assez jeune, je crois quâil sâappelle Dougs ou Doub. Faites en part Ă Hyppolythe et, sâil le connait trĂšs bien, quâil me fasse faire des compliments s.v.p.Â
Dans le courant de la semaine, jâai reçu une lettre de LegrĂȘve, Vanderslagmolen Henri et de Meert, ils se portent tous trĂšs bien, Meert Ă©tait Ă la Panne, et voici ce que je leur ai proposĂ© chaque fois que lâun de nous Ă©crirait Ă la famille. Il parlerait de ses camarades de cette façon si la correspondance de lâun ou de lâautre ne parvenait pas, les parents ne resteraient jamais sans nouvelles; de mĂȘme, chaque fois que vous mâĂ©crirez, parlez des familles Meert, Vanderslagmolen et LegrĂȘve. Henry de CĂ©sar est Ă la musique maintenant. Ils mâinvitent tous Ă demander mon dĂ©placement pour Saint-LĂŽ mais, aprĂšs mĂ»res rĂ©flexions, jâai cru que, pour mon avenir, il Ă©tait prĂ©fĂ©rable que je reste Ă Auvours. Deux Ă trois fois par semaine, je passe la soirĂ©e avec mon ami lâadjudant Zwine. Il est trĂšs aimable. Lorsque je vous Ă©crirai encore, jâespĂšre y joindre ma photographie. Un de ces jours mon ami Zwine et moi, nous allons nous faire photographier. Faudrait voir les nuĂ©es de jeunes gens qui rentrent journellement mais la censure me dĂ©fend de prĂ©ciser.
Camp dâAuvours, terminĂ©e au Mans, le 1er juillet 1915.

