Armée belge. 4e compagnie 1er peloton centre d’instruction 4e division artillerie Camp d’Auvours Sarthe
Vous ne sauriez-vous imaginer la joie que m’a causée la réception de votre lettre. La première reçue en France et surtout au moment où je m’y attendais le moins car, suivant mes calculs, j’en prévoyais l’arrivée dans le courant de la semaine seulement. Rentré un peu plus tôt que d’habitude de l’exercice, par suite de la pluie, nous étions à la théorie lorsque voilà le caporal de semaine qui fait son entrée avec quelques lettres en mains. C’était à peine si je m’en étais aperçu, lorsque, tout à coup, on crie mon nom. Mes camarades de chambrée, placés plus près du facteur, me la passent et je vous assure que je n’ai pas attendu la fin de la théorie pour la lire. Mais, pour ne rien oublier, je vais suivre le cours de votre bonne lettre. Certes, j’avais hâte de recevoir de vos bonnes nouvelles, de vous savoir en parfaite santé, que le commerce marchait toujours et surtout de voir que, malgré mon départ, vous continuiez à vous distraire.
Je remercie Monsieur et Madame Henri de ce qu’ils continuent à vous rendre visite. Il faut vous amuser au billard, aux cartes, etc. Sans cela, vous songeriez trop à la situation actuelle et vous n’en récolteriez alors que de la tristesse, ce qu’il faut éviter à tout prix.
Vous me dites qu’il est regrettable que je ne sois pas à Saint-Lô. Naturellement, mon plus grand désir était d’y aller afin de me trouver auprès de Frédéric et Lucien ainsi que le garçon de chez Vanhol. Quant à M. Labbé Fossard, d’un jour à l’autre, il sera mobilisé comme infirmier. Il y a quelques jours, j’ai encore reçu une lettre dans laquelle il m’a invité chez lui. Je lui ai répondu qu’aussitôt qu’on m’accordera un congé de trois ou quatre jours, j’irai le voir ainsi que Frédéric, Lucien et Arthur qui est à la Haye du Puits, non loin de Saint-Lô.
Comme je vous l’ai déjà dit dans ma lettre précédente, je me plais beaucoup ici. De plus, j’ai rencontré un ancien ami de Saint Boniface, M. Jean Zwine, adjudant à la troisième compagnie. Il attend sous peu la nomination au grade de sous lieutenant auxilliaire. D’ailleurs, je suis installé dans sa chambre pour vous écrire. Vous comprenez si j’ai été heureux de le rencontrer! Il est très aimable et très gentil et s’intéresse beaucoup à moi. Vous me feriez plaisir en faisant part à ses parents, 65 rue de l’Hermitage, qu’il est toujours en parfaite santé, très courageux et très confiant dans l’avenir. Merci pour la belle phrase : “Dieu le veut. La patrie l’exige !” Voilà ma devise. Merci aussi pour vos bonnes prières. Puisse Dieu, par l’intermédiaire de la Sainte vierge, nous exaucer! Merci pour vos bons conseils. Je répète ce que déjà je vous écrivais de La Haye. Loin ou près, je serai toujours ce que j’ai été jusqu’à présent. Chaque fois que je communie (il y a une chapelle au camps), je le fais à votre intention à tous afin que Dieu vous conserve tous tel que vous étiez lorsque je vous ai quitté. Merci aussi à maman Facq, Tante et le petit Jean pour sa prière enfantine. Je vous répète, chers amis, qu’il ne faut au grand jamais désespérer du résultat final. Mon ami Zwine, mes chef et toute la chambrée avons bien rigolé à propos des feuilles de lierre.
Vous me demandez des détails sur mon périlleux voyage. Je regrette beaucoup, chers amis, mais ce serait aller à l’encontre de la censure que de vous faire ce récit. Patience. J’en ai fait un petit journal et, plus tard, vous le lirez avec intérêt. Quant à M. Cavenail, nous avons fait le voyage ensemble jusqu’à Folkestone, hélas, il a été embarqué pour Calais. Quant à moi, j’ai été dirigé sur Dieppe. J’ai déjà reçu de ses nouvelles. Il se plaît beaucoup. Voici son adresse. Hôtel du sauvage, Rue royale, Calais. Quant à ma photo, vous la recevrez la fois prochaine. Je vais me faire photographier avec mon ami Zwine qui n’est pas toujours libre. Voici comment est divisée notre journée. 4h30 Levé 5h30 théorie jusqu’à 6h30 À la plaine de 7 à 11h30 12h00 soupé et viande, de 1h15 à 2h00 théorie. À la plaine de 2h30 à 5h30 6h00 pommes de terre viande dessert 8h30 appel 9h00 extinction des feux. (…)
Votre Jean.
Camp d’Auvours, le 15 juillet 1915.


