6. Départ en bateau imminent

Je suis également heureux d’apprendre que vous voulez me revoir avant que je m’embarque pour la France. Je vous prierais de ne jamais essayer de passer la frontière sans passeport, c’est trop dangereux.



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Bien chers parents, frères, Maman Facq, Tante, Chrétiens et Petit Jean.

C’est toujours avec la même joie que je reçois vos lettres et je suis surtout heureux d’apprendre que vous êtes tous en bonne santé. Quant à moi, grâce à Dieu, ma laryngite a complètement disparu. Vous ne sauriez croire, chers parents, comme j’en suis heureux. Notez bien que, dans trois jours, il y aura deux mois que j’en étais atteint. Il me semble cependant que la voix a changé quelque peu; elle est un peu plus forte. J’ai rencontré des personnes en Hollande qui en étaient atteintes depuis 3 mois et qui n’en sont pas encore guéries. La Hollande est un pays très malsain et surtout humide.

Carte de fréquentation du Comité belge de La Haye - Café hollandais

Carte de fréquentation du Comité belge de La Haye – Café hollandais

 

Je suis également heureux d’apprendre que vous voulez me revoir avant que je m’embarque pour la France. Aussi, aussitôt votre lettre reçue, j’ai envoyé la lettre pour annoncer l’état de santé de Mme. V. Vanden Dael; vous remarquerez que je l’ai adressée à papa et à maman à la fois, ainsi, vous pouvez en profiter tous les deux ensemble ou séparément. Aujourd’hui après-midi, je vous enverrai la carte expressément. Quand vous irez à la kommandantur, ayez soin de prendre l’enveloppe de la lettre avec vous. Si vous parvenez à obtenir un passeport, je vous demanderais de venir le plus tôt possible, au moins la semaine prochaine parce que je voudrais partir la semaine suivante. Ma cabine sur le bateau a déjà été retenue plusieurs fois; vous comprenez que je ne puis pas remettre mon départ indéfiniment. Je vous prierais de ne jamais essayer de passer la frontière sans passeport, c’est trop dangereux. Cela ne m’étonne nullement que vous n’avez plus de journaux français, la frontière est trop bien gardée maintenant. C’est surtout la frontière le long de la province d’Anvers. Fils de fer barbelés, pièges, mines, des fils de fer tendus à quelques  centimètres du sol qui, au moindre choc, font partir des fusées éclairantes, des pétards, etc… Il y a même un endroit où tous les 210 m, il y a une lampe à arc pour la nuit !

Naturellement, pour les jeunes gens et les personnes qui ont des motifs sérieux pour passer la frontière, il y a toujours moyen, il y a toujours des endroits moins surveillés. Au cas donc où vous ne pourriez pas venir en Hollande, écrivez-moi alors par retour de ce courrier, parce qu’alors, je m’embarquerai déjà fin de la semaine prochaine. Quant à la question de l’argent, j’ai encore exactement 342 francs. Naturellement, mes frais diminuent beaucoup maintenant puisque c’est la Légation qui paye ma pension depuis huit jours. La vie en Hollande étant beaucoup plus chère qu’en Belgique malgré la guerre, j’ai toujours été très économe comme la plupart des Belges qui se trouvent en Hollande. Si vous avez l’intention de me remettre quelque argent, eh bien voici comment nous procéderions au cas où vous ne pourriez pas venir vous-même à La Haye; en ce cas donc, dans la  lettre que vous m’envoyez par retour de ce courrier (ce tuyau), joignez-y un reçu d’autant écrit à l’encre. Avec ce reçu, je me présenterai chez le frère du monsieur à qui vous remettez la correspondance et qui me versera la somme que vous aurez indiquée; après quoi, il fera livrer chez vous par son frère de Bruxelles à qui n’oubliez pas de réclamer le reçu même que vous m’aurez envoyé. Je crois que c’est là le moyen qui offre le plus de garantie. Si vous me donnez quelque argent, je vous prie de ne pas exagérer, je n’en aurai besoin que pour mes menus frais et, avec les 342 francs que j’ai encore, j’irai déjà loin. Ici nous avons tous les journaux que nous désirons, un journal français coûte 10 cents (20 centimes). Quant au “Rotterdamsche”, ne vous y fiez pas trop, car même en Hollande, ce journal est très détesté; d’ailleurs les 6/10  des administrateurs sont Allemands. Les nouvelles de la guerre sont excellentes; les Italiens ont pris l’offensive en de nombreux endroits; ils sont déjà 30 km en territoire autrichien malgré les grandes difficultés qu’offrent la traversée des Alpes tyroliennes etc. (Suite manquante).

J. Vanden Dael.

La Haye, le 3 mai 1915.

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