Chers amis,

Je suis heureux de pouvoir vous remettre ci-joint une lettre de Monsieur Henri, que je viens de recevoir à l’instant. Dans la lettre qu’il m’adressait, il m’annoncait qu’il était toujours en parfaite santé et était, en ce moment, au bord de la mer.

Il y a quelques jours, j’ai reçu une lettre de Lucien et de Frédéric dans laquelle ils me disaient que Mr Charles avait été désigné après mille difficultés pour le même régiment d’Henry. Dans cette lettre également et suivant ma demande, ils me donnaient l’adresse d’Henry. Heureusement que maman me l’avait déjà donnée il y a une quinzaine de jours sinon, il se serait encore passé quelque temps avant que vous ayez reçu des nouvelles d’Henri. Il est fâcheux que je n’aie pu obtenir l’adresse plus tôt.

Comme je vais bientôt m’embarquer, voici comment vous procéderez pour rester en correspondance avec Henri et Frédéric par ce tuyau.

Lorsque vous écrirez:

1­°: Mettez la lettre que vous destinez à Henri ou à Frédéric dans une enveloppe fermée à leur adresse respective.

2°: Mettez le tout dans une deuxième enveloppe  que vous fermerez et que vous adresserez à Mr Vandenbroek au Café Zuid-Holland-Heerengracht à la Haye.

3°: Remettez cette lettre entre les mains des personnes qui vous délivreront la présente.

Au reçu de la correspondance à La Haye, le monsieur cité plus haut se charge de la faire parvenir à destination. Pour venir de France en Hollande, les lettres mettent de 8 à 9 jours. Vous pouvez donner ces explications à Mlle Legrêve.

Par contre, je vous prierai de garder le plus grand secret au sujet de ce tuyau, notre intérêt à tous l’exige. C’est le tuyau le plus sérieux que j’aie trouvé, comme preuve toutes les lettres que j’écris à la maison y arrivent et celles qui me sont envoyés me parviennent très bien.

Nouvelle:

Les relations diplomatiques entre l’Amérique et l’Allemagne sont à toute extrémité. Les journaux neutres parlent de la possibilité d’une déclaration de guerre des États-Unis à l’Allemagne. Quant au ravitaillement de la Belgique, l’affaire est déjà arrangée, c’est l’Espagne qui s’en chargera éventuellement, donc soyez tranquilles. Informez-en s.v.p. mes parents.  Ne divulguez pas cette nouvelle ! Par crainte des Alboches.

Vous seriez bien aimable de dire à mes parents que Mr Arh-Vank part demain, mardi 8. Transmettez-leurs également mes sincères amitiés.

Recevez, chers amis, une bonne poignée de mains.

Amitiés à la famille Legrêve.

Prière de garder mon départ d’Ix. le plus longtemps possible secret s.v.p.

Jean.

271 Spui, La Haye, le 7 juin 1915.